Scot23#6 Chasing dragonflies

Bonjour! 🙂
L’article d’aujourd’hui est dédié à mon travail de terrain en Ecosse en 2023, donc préparez-vous à être inondés de photos de libellules, héhé!

Mon doctorat était la raison de notre présence en Ecosse entre mai et septembre 2023. J’avais l’opportunité d’effectuer un séjour de recherche à l’étranger, et je n’en reviens toujours pas d’avoir pu conjuguer deux de mes grandes passions: l’Ecosse et les libellules.

Grâce à des contacts de mon directeur de thèse, j’ai pu élaborer une étude de cas en lien avec l’Eddleston Water Project, un beau projet de “Natural Flood Management” visant à réduire les risques d’inondations dans le bassin versant de la rivière Eddleston. Financé par le gouvernement écossais et mené par Tweed Forum, le projet a permis la renaturation d’écosystèmes pour améliorer la capacité du paysage à retenir l’eau en amont, avant qu’elle n’inonde Eddleston et Peebles. Voici une petite vidéo de 5 minutes pour ceux qui sont intéressés à en savoir plus sur le projet.

Dans le cadre de ce projet, des bouts de la rivière Eddleston ont été restaurés, des “leaky woody dams” ont été construits, des centaines de milliers d’arbres ont été plantés… et plus d’une trentaine d’étangs ont été créés. C’est bien sûr ces derniers qui m’intéressaient particulièrement pour mon étude. Je me suis penchée sur la contribution de ces étangs à la biodiversité aquatique du pondscape (“paysage d’étangs”). Pour ce faire, j’ai inventorié les communautés de libellules d’une vingtaine d’étangs, dont une moitié d’étangs créés spécialement pour la réduction du risque de crues, et une autre moitié constituée d’étangs qui existaient avant l’Eddleston Water Project.

J’avais déjà effectué des inventaires de libellules durant mon master, puis durant mon travail d’assistante à HEPIA, mais c’étaient les premiers relevés de libellules adultes que je faisais spécifiquement pour ma thèse. Ça m’a fait tellement plaisir de renfiler les waders et de partir à la chasse aux libellules, armée de mon filet et de mon appareil photo. J’apprécie particulièrement la photographie pour l’identification (j’ai un super objectif macro acheté exprès pour ça durant mon master), mais parfois il est nécessaire d’attraper les individus pour les déterminer. Dans ce cas-là, hop, on attrape la libellule dans un filet à papillons et on la saisit délicatement par les ailes le temps de la regarder de plus près (à la loupe de botaniste si besoin), avant de la relâcher.

Mon étude se focalisait sur les libellules adultes, plus rapides à inventorier, mais j’ai également échantillonné des larves sur un subset d’étangs. Je récoltais aussi des exuvies (les “peaux” laissées par les libellules lorsqu’elles émergent et passent du stade larvaire au stade adulte) et je prenais des notes sur la végétation aquatique et l’utilisation du sol autour des étangs, entre autres variables environnementales.

J’ai effectué quasi tout le terrain toute seule, mais j’ai quand même eu de la compagnie un jour de mai, lorsque mes deux superviseurs locaux, Chris (uni de Dundee) et Jennifer (Edinburgh Napier Uni) sont venus échantillonner des larves avec moi, accompagnés de leur collègue Rob. C’était plus facile de se retrouver pour du “terrain larves”, puisque celui-ci ne dépend pas de la météo, contrairement aux adultes, qui ne s’inventorient que lorsqu’il fait beau.

J’étais donc tout le temps en train de vérifier les prévisions météo pour planifier mon terrain. Pour la première campagne, aucun problème: on n’a pas vu une seule goutte de pluie durant le mois de mai! Cette année-là, l’Ecosse a connu un tel déficit de précipitations printanières que deux des étangs que j’avais sélectionnés étaient carrément secs. En août, c’était plus compliqué, car on a eu plusieurs semaines froides et pluvieuses. Heureusement, j’ai quand même réussi à faire tout mon terrain dans la deuxième partie du mois, durant laquelle la météo était plus clémente.

Ce qui était très pratique, c’est qu’il me suffisait d’aller dans le jardin de Nether Linnfall (là où on logeait, voir cet article) pour vérifier les conditions in situ et voir si “ça volait” au-dessus de mon “étang témoin”. 😉 Si c’était le cas, je sautais dans la voiture direction le terrain. Et sinon, ça me faisait une micro-balade pour me dégourdir les jambes avant de retourner bosser devant l’ordi ou la loupe binoculaire.

J’avais pu transformer la cuisine de l’AirBnB en petit labo, pratique pour déterminer les larves et exuvies récoltées. A la fin du séjour, j’ai aussi pu accéder au labo d’Edinburgh Napier University, pour identifier les spécimens trop petits ou aux critères trop minuscules.

En ce qui concerne l’échantillonnage des larves, je suivais un protocole déjà utilisé dans plusieurs autres projets d’HEPIA, dont voici les étapes grossières: D’abord, on prend un filet pour effectuer des va-et-vient énergiques dans l’eau. Ensuite, on verse le contenu du filet dans un bac blanc avec de l’eau. Puis, c’est l’heure du tri! Avec une pince, on récupère les individus qui nous intéressent (dans mon cas, tous les odonates), qu’on stocke dans des flacons d’alcool. L’avantage de trier sur du “matériel vivant”, c’est qu’on peut ensuite relâcher les petites bêtes qui ne sont pas incluses dans l’étude. Pour finir, on identifie les individus récoltés en labo, sous la loupe binoculaire. (Bon, ma méthode préférée, ça reste les odonates adultes, puisqu’on n’a pas besoin de conserver les spécimens, tout peut s’identifier direct sur le terrain!)

Larves et exuvies sous la loupe

Même si je ne gardais que les larves de libellules pour mon étude, je notais tous les groupes de macroinvertébrés aquatiques rencontrés, pour information. J’ai aussi pris plein de petites vidéos sur le terrain et j’espère prendre un jour le temps de les éditer. J’ai notamment des clips d’une belle larve de dytique (un coléoptère aquatique) se baladant dans le bac de tri!

La beauté du terrain, c’est qu’en plus d’observer plein de libellules, on croise en général une flopée d’autres trucs très chouettes. Je m’émerveillais devant les tapis de sphaigne des tourbières, les étendues de linaigrette et autres belles fleurs. En plus des habituels cygnes, poules d’eau, busards et oies et d’un occasionnel faucon crécerelle, j’ai aussi pu admirer un groupe de jeunes mésanges à longue queue — j’étais gaga, car je les trouve vraiment irrésistibles! J’ai aussi vu une famille de troglodytes vraiment trop choue, et un cincle plongeur sur la rivière Eddleston. Ah, et aussi des épreintes de loutre (pas d’observation directe pour cette fois-ci, malheureusement, mais c’est déjà super de savoir qu’elles sont dans le coin!). 🙂

Bien sûr, vu la quantité de pâturages dans les environs, j’étais souvent accompagnée de moutons et de vaches, et même parfois de chevaux! Si les moutons ont généralement l’habitude de fuir à mon arrivée (tandis que moi j’évite les vaches qui me lancent de sales regards), ce n’était pas le cas de mes amis équins. Lors de ma première visite de “l’étang des chevaux”, je me suis fait escorter par trois-quatre chevaux bien curieux qui ne voulaient plus me lâcher, haha. Ils me poussaient gentiment dans le dos avec leur tête, et il y en a même un qui a essayé de mâchouiller mon sac! ^^ J’ai une petite vidéo de ce moment, il faudra vraiment que je la partage un jour. J’ai également des clips de perdrix ou faisans sur la route, courant paniqués devant la voiture plutôt que de se réfugier sur le côté. ^^ Je rencontrais aussi des lièvres quasi quotidiennement, ce qui me faisait toujours très plaisir.

Un jour, je suis également tombée sur une araignée en train d’embaumer un tandem de Coenagrion puella s’étant pris dans sa toile. Elle travaillait si rapidement, c’était impressionnant!

Mes journées de terrain étaient bien remplies et j’ai vite développé une routine. Au réveil, je prenais le petit-déjeuner avec José (qui se levait avant moi pour bosser à l’heure suisse) puis j’allumais l’ordi pour traiter mes e-mails, planifier le terrain, contacter les proprios des jours suivants pour les prévenir de mon passage, et autres tâches informatiques. A 10h, je partais pour le terrain et j’enchaînais les relevés, avec une mini pause lunch vers 13h (en général max 15 minutes, pour ne pas perdre du temps pendant les heures chaudes, idéales pour l’observation des libellules). Après quatre ou cinq étangs (selon leur taille et difficulté d’accès, et selon la météo, car quand il y a du vent ou des nuages, il faut attendre que ça passe), il était en général 17h et l’heure de rentrer à la maison. Mais ma journée ne s’arrêtait pas là: Je prenais encore le temps de rentrer toutes les données du jour dans mon tableau Excel et de décharger et trier les photos, avant de vérifier et adapter le planning du lendemain en fonction de mon progrès de la journée. Douche, repas, dodo et on recommence! 😉

Sur le terrain, lorsque les conditions météo ne remplissaient pas les critères du protocole pour l’inventaire des libellules adultes, il fallait attendre. J’en profitais alors pour chercher des exuvies, remplir mes fiches de variables environnementales et, bien sûr, prendre des photos! Lors d’une matinée particulièrement grisouille, j’ai eu le bonheur de trouver un tandem d’Aeshna juncea au milieu des joncs (ça tombe bien, le nom français de cette espèce est “aeschne des joncs”). Le couple a posé devant l’objectif et j’ai pu le photographier sous toutes les coutures, héhé. J’étais particulièrement contente car c’est une espèce que je croisais surtout en vol et dont j’avais donc de la peine à tirer le portrait.

Je garde de si bons souvenirs de ce moment que j’ai choisi une des photos de cette matinée-là pour décorer la coque de protection de mon natel, héhé.

Un jour, en plus de cueillir des exuvies, je suis tombée sur une cueillette un peu plus alléchante: des framboises! Heureusement, il me restait un flacon pour en ramasser quelques-unes et en ramener à José. 🙂

Et alors, qu’ont donné mes résultats? Eh bien, pour faire court, ils ont montré que créer des étangs pour réduire les risques d’inondations pouvait tout à fait apporter des bénéfices pour la biodiversité aquatique, notamment en renforçant les populations de libellules! Les étangs créés par Tweed Forum se sont avérés particulièrement riches en odonates, grâce à plusieurs facteurs importants: un substrat naturel, une bonne qualité de l’eau et la présence de végétation dans les étangs et autour, notamment. Pour en savoir plus, il faudra attendre la sortie de mon article scientifique sur le sujet, pour l’instant en cours de révision. 😉

D’un point de vue personnel, cette étude de cas a représenté une bouffée d’air frais et m’a clairement aidée à tenir le coup jusqu’au bout du doctorat. Même si j’étais pas mal crevée lors des campagnes de terrain, c’était une fatigue physique, si différente de la fatigue mentale (et dorsale ^^) des journées passées devant l’ordi à rédiger du code et des manuscrits.

Rien que le fait d’être en Ecosse et de loger à la campagne faisait un bien fou au moral et offrait un changement de décor bienvenu. Après les longues journées de terrain, le Perskindol venait à la rescousse de mes chevilles fatiguées par la marche en waders au milieu des “tussocks”. Et pour les journées à l’ordi (notamment les longues journées stressantes de préparation de ma présentation pour SEFS13, une conférence à Newcastle dont je vous parlerai dans un prochain article), il y avait les repas dans le jardin et les petites balades ou excursions le soir et les week-ends pour se changer les idées. ♡

Et voilà, c’est la fin de cet article “spécial boulot” (mais quel beau boulot, franchement ♡)! Dans les prochains, je vous raconterai d’autres aventures en Ecosse et dans le nord de l’Angleterre! 😉
Merci et à bientôt!

Tu t’envoles!

Bonjour à tous!
Olala, ça faisait tellement longtemps que je ne m’étais pas connectée au blog… J’ai pris peur en voyant la longue liste de brouillons d’articles. J’avais complètement zappé que j’avais encore à concocter toute la rétrospective des vacances d’été en Suisse, et même de week-ends encore plus anciens. Bon, ce sera sûrement pour 2021, à moins que je m’y mette pendant les vacances de Noël.

Mais en attendant, voici un (long) article de libellules, pour changer, haha!
J’ai récemment lu un petit livre d’Alain Cugno intitulé La libellule et le philosophe, qui m’a beaucoup plu. Certains passages partaient un peu trop dans de la philosophie complexe, mais d’autres m’ont vraiment parlé. J’ai donc voulu partager quelques extraits avec vous.

Sympetrum striolatum

Et c’est aussi l’occasion de partager des photos de mes terrains estivaux avec HEPIA, car j’ai posté quelques photos sur Instagram mais rien ici (shame on me!).

Aeshna cyanea femelle

Cet été, j’ai eu l’opportunité d’aller une semaine en Isère pour des relevés de libellules adultes et de macroinvertébrés aquatiques, puis j’ai encore fait du terrain à Genève et Yverdon dans le cadre d’un projet qui s’intéresse aux services écosystémiques des étangs urbains.

Crocothemis erythraea

Autant dire que j’ai plein de photos inédites qui dormaient sur mon ordinateur… Cet article est donc l’occasion de leur faire prendre leur envol!

Libellula quadrimaculata

Le vol, c’est d’ailleurs ce qui rend les libellules (adultes) si magiques!

Pour accompagner toutes ces photos de l’été dernier, voici donc quelques passages de La libellule et le philosophe, d’Alain Cugno (nouvelle édition au format poche, Albin Michel, 2014). Certains décrivent à merveille, je trouve, ce qu’est l’observation des libellules (ainsi que leur photographie). D’autres sont juste très bien écrits, poétiques, philosophiques. Il est possible que quelques extraits n’aient pas trop de sens hors contexte, et dans ce cas je vous conseille de lire le livre! 😉

Aeshna affinis, en Isère

“La seule réponse est l’envol […]
les libellules volent jusqu’au bout. En fin de saison, on les trouve, usées, les ailes réduites en lambeaux, manifestement épuisées. Et pourtant, elles volent encore. Comme si la seule réponse qu’elles savaient donner, à quelque situation que ce soit, était l’envol. De même que la pensée ne peut pas s’arrêter de penser, même lorsqu’elle est extrêmement affaiblie ou délirante, même lorsque la parole se dérobe, de même les libellules volent encore quand elles ne le peuvent plus”
(La libellule et le philosophe, p.104)

“Les libellules ne volent pas, elles s’en vont — toujours. Leur présence est leur départ. Elles nous quittent.” (p.101)

Deux Anax parthenope en pleine course aérienne, à la fois trop loin et à portée d’objectif.

“Je n’ai encore jamais réussi à photographier une libellule en vol. […]
Si bien que ce trait si caractéristique, si glorieusement caractéristique, qui est à l’origine de l’amour que je porte aux odonates, je ne le rencontre concrètement chez les grandes espèces au vol le plus spectaculaire que sous la forme de l’agacement, de l’impatience (“Vas-tu te poser, oui ou non?”) et de la frustration […]
Il y a ainsi ce paradoxe: ce qui nous est à tous le plus familier chez les libellules, leur vol, est aussi le plus inaccessible, le plus étranger à celui qui tente de les approcher passionnément. Pour entrer, d’ailleurs, dans le monde du vol des libellules, la photographie ne suffirait pas. Celles que j’ai vues sont décevantes. Je le dis sans trop de jalousie. Ou bien les ailes sont floues, tant leurs battements sont rapides, ou bien, nettes, elles paraissent en vrac, sans rien traduire de ce que l’on a vu de légèreté, de puissance et de rapidité.” (pp.91-92)

“Maintenant que vous avez décidé, la porte se referme derrière vous et vous entrez dans un monde neuf, puissamment orienté, prodigieusement intéressant (passionnant!) leur monde de marécages, de fossés remplis de végétation, de mares et de tourbières. Un monde où vous les chercherez sans relâche, un monde qui ne peut être fait que d’attentes souvent frustrées et de rencontres fulgurantes.” (p.30)

Orthetrum albistylum au milieu des joncs

“En verrai-je? Et si j’en vois, à quoi les reconnaîtrai-je? Par quel trait, cette fois-ci encore, signaleront-elles leur originalité immédiatement repérée parmi tout ce qui bouge et tout ce qui vole? […] Où sera la première que je verrai: dans l’herbe, au dos d’une fougère, plaquée contre un tronc d’arbre? Infatigablement en vol, ce qui est sa manière de dire “non” — ou immobile assez longtemps pour que la rafale canonique de sept clichés puisse être prise, ce qui est sa manière de dire “oui” ?” (pp.30-31)

“L’essence de la poésie se lit dans ce que dévoile une libellule photographiée: l’étrangeté d’un monde entièrement inventé.” (p.69)

“Il y a un monde qui est caché dans le nôtre.
Changer d’échelle change le monde. Leibniz s’en émerveillait: “Chaque portion de la matière peut être conçue, comme un jardin plein de plantes, et comme un étang plein de poissons. Mais chaque rameau de plante, chaque membre de l’animal, chaque goutte de ses humeurs est encore un tel jardin, ou un tel étang.” Et c’est là où l’originalité des libellules joue à plein. Q’un changement d’échelle nous ouvre à des mondes inconnus, qui ne le sait? Il suffit d’avoir vu une photographie d’acarien… Mais, justement, les acariens ne sont pas visibles à l’oeil nu, alors que vous avez une expérience familière des libellules — et voici que la photographie vous révèle qu’elles sont tout autres que vous ne pensiez.” (p.67)

“Les libellules s’en vont, quittent, vont ailleurs, et cet ailleurs est justement ce qu’elles habitent, là où elles volent, maintenant. Elles sont le détachement même. Elles ne tiennent à rien, si ce n’est à s’en aller. Elles habitent leur départ — elles sont toujours déjà arrivées là où elles ne finissent pas de partir. Une telle constance dans l’inconstance — une telle impatience patiemment habitée.” (p.102)

Exuvie d’Aeshnidae

“Il faut se rendre à l’évidence: [les libellules] naissent d’un ailleurs qui est leur propre perfection.” (p.114)

Délicat Platycnemis pennipes

“Les libellules sont des êtres de la distance moyenne. Trop petites pour être vraiment vues de loin, trop grosses et trop farouches pour l’être de très près, on les cherche et on les repère sans entrer dans leur monde puisqu’elles ne vous laissent pas le temps de changer d’échelle pour vous adapter. Repérées, elles se laissent approcher, mais repartent en se déplaçant d’une dizaine de mètres au moment précis où vous étiez sur le point d’y parvenir, semblables en cela aux grands cerfs des chasses mystiques, capables de vous emmener jusqu’à la sainteté ou jusqu’à la damnation parce qu’ils diffèrent constamment une promesse presque tenue.” (p.42)

Erythromma lindenii

“Mais le miracle s’est produit, votre attente anxieuse et déjà désespérée (décidément, je rentrerai bredouille) s’est transformée en un surcroît de tension qui pourtant est une détente. Il n’y a qu’un mot qui puisse traduire ce sentiment de satisfaction, celui de don. […] Une profondeur inouïe se creuse derrière ce que vous connaissiez déjà, avec une intensité qui vous certifie que maintenant, enfin, vous êtes devant la réalité.” (p.45)

Erythromma viridulum

“Les animaux vivent dans des oeuvres d’art. Même un pylône électrique devient poétique si un rapace s’y perche. La vraie vie existe, elle ne peut être offerte que par un mouvement qui n’était ni promis ni dû, et dont la libellule est la messagère.” (pp.46-48)

Un héron pourpré sur une photo ratée, prise avec des réglages pour libellules plutôt que pour oiseaux 😉

“Les oiseaux appartiennent à notre monde, se meuvent dans le même espace que nous, alors que les insectes nous font changer d’échelle, nous introduisent à un autre univers, un microcosmos qui exige qu’on parle une autre langue.” (p.34)

“Que se passe-t-il vraiment, lorsque je suis traversé par un éclair que je connais bien, d’une intensité unique, parce que je viens de repérer le scintillement caractéristique d’ailes nervurées comme des vitraux, ou la silhouette impossible à confondre, avec ses yeux énormes?
Etre naturaliste, c’est d’abord cela: éprouver une émotion indicible, simplement pour avoir reconnu son animal préféré.” (p.13)

Il s’agit des premiers mots du chapitre 1, intitulé “Etre amoureux des libellules”, et ils figurent sans conteste parmi mes préférés de tout le livre. En les lisant, j’ai su que le reste allait me plaire, me parler, me faire sourire et me rappeler des moments passés dans un étang, les cuisses bien au chaud dans les waders, en train de transpirer au soleil, les jumelles et l’appareil photo pesant autour de mon cou, mais tellement contente et le visage tout rayonnant lorsqu’une libellule passe enfin près de moi. 🙂

“[…] les libellules nous échappent en leur essence même — et là-bas, dans leur va-et-vient inaccessible ou, au loin, sur les étangs, nous ne pouvons les rejoindre qu’en imagination. Pour nous, qui voulons les photographier, la vérité du vol des libellules est quand elles se posent, c’est-à-dire quand elles ne volent pas.” (p.97)

J’adore le jeu de cache-cache que proposent les libellules, surtout les Zygoptères mais parfois aussi les Anisoptères, lorsqu’elles pivotent pour toujours garder leur tige de support entre elles et moi. Alain Cugno en parle à propos de Sympecma fusca, mais d’autres espèces font de même:

“[…] elle qui se tient d’ordinaire timidement plaquée contre une tige, un oeil dépassant sur le côté pour vous observer et tourner autour de son support afin de vous échapper.” (p.36)

Un Orthetrum cancellatum jouant à cache-cache à Yverdon
Le cache-cache se joue aussi avec les sauterelles 🙂
Sympetrum sanguineum
Jeune sympétrum aux ailes encore brillantes (probablement S. striolatum)

“C’est pourquoi l’identification est une activité très haute de l’esprit. La formule pourra paraître excessive à beaucoup: “Pourquoi diable voulez-vous absolument savoir s’il s’agit de Sympetrum striolatum ou de Sympetrum vulgatum? En quoi les intérêts de l’esprit sont-ils convoqués par le fait qu’un trait noir descende ou ne descende pas le long des yeux de cette pauvre bête? Votre libellule en sera-t-elle plus ou moins belle? Ne pourriez-vous pas vous contenter de la contempler? […]”
[…] Et encore: toute recherche de l’identité d’un animal est une éthique de la rigueur […]” (pp.147-148)

Ce passage m’a aussi bien fait sourire, en me rappelant des souvenirs de chasse au sympétrum, quand la bête me tourne le dos et ne montre que son abdomen, alors que je suis en quête de la longueur des taches sous les yeux! ^^

“Les animaux sont des réponses à des questions qui n’ont même pas eu à être posées.” (p.18)

“Les animaux sont des êtres énigmatiques parce qu’ils sont entièrement présents, là où ils sont. Fondamentalement affirmatifs, ils avancent leurs formes et leur couleurs comme des évidences irréfutables.” (p.19)

Enallagma cyathigerum

“[La photographie] ouvre l’instant et montre quelque chose qui pour avoir existé n’a cependant jamais été, car il s’est, dans la réalité, immédiatement transformé en autre chose: tous les éléments ont bougé et pris une autre configuration. Cette objectivité crée donc un lien au passé beaucoup plus fort que dans le cas de la collection — et même que dans le cas de la chasse — car il ne s’agit pas d’un souvenir, mais de la découverte de ce qui a eu lieu. Un fragment de passé qui n’a jamais été abrité par une mémoire.” (p.60)

Ribambelle d’Erythromma viridulum

“Toute votre activité d’entomologiste s’oriente vers l’identification des spécimens que vous rencontrez […] Qui “s’y connaît” en libellules est capable de les déterminer: mettre un nom exact donne accès à votre dignité de naturaliste. De là, l’importance des guides d’identification dont on attend qu’ils soient fiables et exhaustifs. Que le plus récent guide des libellules d’Europe fasse mention de Pachydiplax longipennis en lui consacrant autant de place qu’aux autres espèces alors qu'”il n’existe qu’une donnée européenne qui concerne la découverte d’une femelle morte sur une plate-forme pétrolière à l’est des Shetlands le 6/09/1999″ est profondément rassurant quant au sérieux de l’ouvrage.” (pp.137-138)

J’ai la version anglaise de ce guide des libellules d’Europe de Dijkstra et al., dont je viens justement de recevoir la nouvelle édition, et je l’adore. En revanche, la version française a commis l’impair de confondre Shetland, en Ecosse, et Shetlands, en Antarctique… pas très sérieux, tout ça! 😉
(A moins que l’erreur ne provienne de la citation, who knows!)

Un coeur de Sympetrum vulgatum

“Les idées sont des libellules
dont les mots sont les ailes et le corps.” (p.100)

— elles filent, comme des éclairs, nous traversent et puis s’en vont.

Sympetrum sanguineum faisant l’obélisque sur un Lythrum salicaria

Voilà, je m’arrête là, après un article aussi long que l’hiver qui nous prive de libellules adultes — mais il y a la neige et plein d’oiseaux qu’on voit mieux sur les branches nues des arbres, donc ça compense! 😉

J’espère que ces photos et extraits de livre vous auront plu, et je vous donne rdv bientôt pour la rétrospective de cette folle année 2020!

Libellulite aiguë

Voilà, le mois de mai vient déjà de se terminer! Un mois de mai sans Fête de la danse, sans spectacle d’impro, sans swing, sans Médiévales d’Andilly, mais un mois quand même rempli de libellules!

Mâle Libellula depressa, bois des Mouilles

J’ai encore la rétrospective shetlandaise à finir, ainsi qu’une magnifique journée passée à la montagne mi-mai à raconter, mais je ne pouvais pas attendre plus longtemps avant d’inonder le blog de photos de libellules et autres créatures rencontrées au gré de mes balades du mois dernier!

J’ai surtout passé du temps au bord de l’Aire (dont la fréquentation a à peu près quadruplé avec le confinement…!), et José et moi sommes aussi allés trois fois au Bois des Mouilles. On voulait un peu suivre l’évolution de l’étang après les travaux de 2019. Il est à nouveau bien rempli et les libellules sont de retour, même si je n’ai pas revu Coenagrion pulchellum, ni Brachytron pratense, vus le printemps dernier.

Tandem de Coenagrion puella

Les 9 et 24 mai 2020, on a revanche revu la dose de Sympecma fusca. 🙂

Sympecma fusca

Bien sûr, on a aussi croisé grenouilles vertes et oiseaux à foison. Et notamment un beau pic épeiche sur un tronc mort recouvert de mousse bien verte. 🙂
Un jour, on a discuté avec un homme qui nous a dit qu’il avait aperçu un martin-pêcheur et les couleuvres, héhé!

La libellule qu’on a vue en plus grand nombre au Bois des Mouilles durant le mois de mai, c’est sans aucun doute Libellula depressa. Comme l’année dernière, on en a également revu dans le fossé du pré de la Gavotte, en compagnie d’Orthetrum cancellatum.

Au Bois des Mouilles, on a notamment eu le plaisir d’observer plein de femelles Libellula depressa en train de pondre. Et une fois, on a même eu droit à de sacrées bagarres, avec des mâles fonçant sur les femelles en pleine ponte!

J’ai filmé une femelle pondant dans un coin tranquille, car je trouve impressionnant de voir les mouvements de ponte! En mettant le son, on peut avoir aussi une idée de l’ambiance, avec les grenouilles et oiseaux en charge de la bande-son (et notamment une foulque macroule donnant de la voix vers la fin!). 🙂

Au bord de l’Aire, on a également revu Aeshna isoceles, comme l’année dernière. Deux mâles se sont installés sur deux parties stagnantes à 20 mètres d’écart et se livrent de violentes batailles de temps à autre. Ils n’hésitent pas non plus à s’en prendre à leurs voisins, un Anax empereur et un mâle Libellula depressa.

Aeshna isoceles

On a vu plein d’autres espèces au même endroit: Platycnemis pennipes, libellule déprimée femelle, agrions jouvencelles, Ischnura elegans,… L’accès au coin est en revanche assez restreint, ce qui rend les photos difficiles. En triant des essais ratés de photos d’Aeschne en plein vol, j’ai eu la surprise d’avoir des fois des grenouilles nettes en arrière-plan, haha! ^^

Trouvez la libellule déprimée femelle!
Plein de Platycnemis et Coenagrion en train de pondre

L’aeschne isocèle a bien éprouvé ma patience, ne se posant absolument jamais… Sauf bien sûr les jours où je passe sans l’appareil photo, haha! Il y a quelques jours, je me promenais avec José, et elle était là, sagement posée sur son brin de carex. ^^ Mais je ne désespère pas de réussir un jour une photo d’Aeshna isoceles posée, avec son triangle isocèle bien visible. 😉
En attendant, je me contente de photos floues en vol (même que j’aurais vraiment bien voulu que la suivante soit nette! Elle est passée tellement proche de moi!).

Au bord de l’Aire, ça fait un petit moment qu’on n’a plus revu le faucon crécerelle résident, par contre les hérons, poules d’eau, milans noirs et foulques sont au rdv, ainsi que les harles bièvres parfois. On a aussi vu des Calopteryx, virgo et splendens, papillonner au-dessus de la rivière.

Calopteryx splendens

En plus des zones humides, les prairies fleuries bourdonnent de vie! Je n’ai pas revu d’ascalaphe, mais c’est tellement chouette de voir tous ces papillons, bourdons et abeilles! 🙂

Ce mois de mai, quand je n’étais pas en train d’observer des libellules (c’est-à-dire, la plupart du temps), je bossais sur mon mémoire sur les libellules! Eh oui, car la fin approche…!

Orthetrum cancellatum au bois des Mouilles
Nymphéa en fleur

Une autre bonne surprise de dimanche dernier au bois des Mouilles: Libellula quadrimaculata, qui a littéralement posé devant l’objectif après une vingtaine de minutes à nous voler autour!

Sur les photos suivantes, trouvez: Libellula depressa et Anax imperator!

Libellula depressa
L’empereur de l’étang

Dimanche dernier, à chaque fois que José et moi essayions de partir, une nouvelle espèce de libellule venait nous narguer et je ressortais illico presto l’appareil photo! La plus belle surprise: mon premier Anax parthenope! 🙂
Il ne s’est pas posé de notre côté (sûrement à cause de l’anax empereur qui patrouillait son secteur) mais j’ai quand même pu capturer quelques photos floues d’hyper loin:

Alors qu’on allait finalement rentrer, un Lestes viridis à peine émergé est carrément venu se poser sur la jambe de José!! C’est le tout premier que j’ai vu cette saison.

Allez, fini pour aujourd’hui, je vous laisse avec une de mes photos préférées du mois, un Anax imperator très coopératif!

Bye et à bientôt!

Update du 2 juin 2020: je viens de rentrer d’une petite balade digestive avec José riche en observations de libellules, donc je les rajoute vite fait ici!

Pour commencer, c’est un tandem d’Orthetrum brunneum qui m’a accueillie lors de mon arrivée vers la Gavotte. Le petit fossé humide bordant le pré des poneys bouillonnait de vie: ça volait de partout! Libellules déprimées, Orthétrums bruns, étourneaux prenant leur bain, moineaux,…

Coeur copulatoire d’Orthetrum brunneum

Plus loin, ce sont 4-5 chardonnerets élégants qui se sont envolés d’une superbe prairie fleurie sous nos yeux. 🙂 Malheureusement, pas de photo, tout s’est passé bien trop vite!

Nouvelle surprise: l’Aeschne isocèle a daigné se poser quelques secondes, héhé! Je savais que je l’attraperai un jour. 😉 Mais bon, elle était quand même loin, ceci est une photo sacrément recadrée.

Et puis, dernière bonne surprise: alors qu’on approchait du pont du Centenaire, on voit un tandem de Gomphidae nous passer devant! C’était la première fois que j’en observais au bord de l’Aire. Le mâle est repassé et s’est posé non loin de nous dans un arbre. Verdict: Onychogomphus forcipatus!

Je suis vraiment contente de l’avoir croisé, car jusqu’ici je n’en avais pas vu au stade adulte, j’avais juste trouvé une exuvie au bord du Rhône lors du terrain pour mon master.

Et voilà, cette fois c’est vraiment fini!
Bye pour de vrai! 😉

Odonata

Bonjour à tous!
J’interromps à nouveau la rétrospective écossaise pour un petit intermède Odonates.

Femelle de Calopteryx splendens

Mercredi dernier, je suis retournée sur le terrain pour mon travail de master. Le but: repérer un peu les espèces présentes avant les véritables relevés dans deux semaines, pour gagner du temps lors de l’identification.

Caloptéryx mâle au milieu des carex

Avec tous les jours bien pluvieux qu’on a eus dernièrement, c’était super de profiter du soleil et d’être dehors. Avec mon prof, on a profité de prendre plein, plein de photos — déjà car c’est vachement utile pour l’identification.

Il y avait beaucoup plus d’espèces que lors de la première session sur le terrain, en mai. A commencer par les caloptéryx éclatants, en nombre!

Je les trouve magnifiques. Ils ont un style de vol complètement différent des autres odonates, on dirait presque des papillons!

Séance cache-cache avec un caloptéryx éclatant mâle

L’espèce qu’on a vue le plus restait tout de même l’Agrion jouvencelle (Coenagrion puella), très commun.

Coenagrion puella mâle immature

Mais cette fois-ci, on a également rencontré davantage d’espèces d’Anisoptères, soit des “vraies” libellules: Libellula depressa, Libellula fulva, Anax imperator, Crocothemis erythraea et un Orthétrum (probablement une femelle d’Orthetrum brunneum, mais c’était difficile à dire car l’individu venait à peine d’émerger).

Le probable Orthetrum brunneum

Du côté des Zygoptères, outre les Calopteryx splendens, nous avons trouvé deux nouvelles espèces de demoiselles pour venir rallonger notre première liste d’observations: Enallagma cyathigerum et Platycnemis pennipes.

Mon premier mâle d’Agrion porte-coupe (Enallagma cyathigerum)

On a pique-niqué au bord de l’eau, avec, face à nous, un décor de rêve et plein de vie: la vue sur le Grand Colombier, deux martins-pêcheurs volant au-dessus de la lône, un faucon filant à toute vitesse et… plein de libellules, bien sûr! Et parmi elles, un couple d’Anax empereurs. Le mâle patrouillait à toute vitesse puis venait se poser sur la branche d’un arbuste, tandis que la femelle pondait. Entre la vitesse en vol et la distance, pas facile d’obtenir des clichés satisfaisants, mais au moins on reconnaît la bête. 😉

Au même endroit, on a pu observer un Crocothémis écarlate dorant au soleil sur sa branche.

Crocothemis erythraea mâle

Ma fierté de cette journée de terrain: mes grands progrès dans le maniement du filet. J’ai réussi à attraper toutes les libellules que je voulais quand c’était nécessaire, héhé!

Platycnemis pennipes immature
Ishnura elegans en plein repas
Couple de C. puella

Les Agrions à larges pattes (Platycnemis pennipes) ont, comme leur nom l’indique d’ailleurs, les tibias un peu dilatés, surtout chez les mâles. La plupart de ceux qu’on a vus venaient à peine d’émerger, donc leur coloration n’était pas complète. Une fois matures, les mâles sont bleus, tandis que le corps des femelles va de bleu à vert clair, plus ou moins brunâtre.

On a revu quelques Petites nymphes au corps de feu (P. nymphula), mais très peu par rapport au mois de mai, où elles volaient par dizaines.

Pyrrhosoma nymphula
Platycnemis pennipes mâle
P. nymphula mâle
Tandem d’Ishnura elegans
Mâle de Libellule fauve (Libellula fulva)

Et pour finir cette ribambelle de photos d’odonates, je vous laisse avec un mâle Coenagrion puella en pleine séance de gymnastique!

A bientôt pour la suite et fin du récit de mon voyage 2018 en Ecosse!

Vie aquatique

Bonjour!
Aujourd’hui, j’interromps la rétrospective écossaise pour vous parler d’un sujet bien plus d’actualité dans ma vie (quoique l’Ecosse, avec moi, c’est toujours plus ou moins actuel ^^). Préparez-vous pour une overdose de… libellules! Eh oui, mon mémoire de master virevolte autour des Odonates, et j’ai vécu mon premier terrain les 6 et 7 mai dernier. Il y avait plus de vent que ce qu’on aurait voulu et c’était encore un peu tôt dans la saison pour les espèces de milieux courants, mais j’ai quand même passé deux superbes journées!

Petite photo de la bucolique lône Chantemerle, prise avec mon natel.

J’ai observé mes premiers Pyrrhosoma nymphula (de belles demoiselles rouges, au nom commun trop stylé de Petite nymphe au corps de feu), des Coenagrion puella, des Ishnura elegans et possiblement une superbe Aeshne printanière (Brachytron pratense, pas facile à identifier étant donné la vitesse sidérante à laquelle ça vole, en changeant constamment de direction et sans jamais se poser à vue — faut d’ailleurs que je m’entraîne au maniement du filet à papillons). Il y avait peut-être peu d’espèces, mais l’abondance était parfois étonnante! Un matin, en marchant dans des hautes herbes pas loin d’un des sites d’étude, il y avait des dizaines et des dizaines de Coenagrion puella et Pyrrhosoma nymphula qui s’envolaient à notre passage, c’était magique! J’ai vu des Zygoptères à peine émergés, faisant sécher leurs ailes translucides, leurs exuvies juste à côté. J’ai vu une larve de Pyrrhosoma nymphula qui grimpait le long d’un carex, cherchant son spot pour son ultime mue. J’ai vu plein de demoiselles voler en tandem et pondre à la surface de l’eau. J’ai vu d’immenses aeshnes patrouiller à toute vitesse.

Mais j’ai aussi vu des martins-pêcheurs, des aigrettes, des hérons, des milans, des cygnes et tant d’autres oiseaux, des traces de sangliers dans la boue, des troncs rongés par des castors, des moucherons volant par centaines à la surface de l’eau, des abeilles sauvages butinant au milieu des fleurs (et des renouées du Japon, qui envahissent tout le coin)… Bref, deux belles journées à marcher dans les bois pour rejoindre les lônes (nom donné aux bras secondaires du Rhône), à pagayer (on a un petit bateau gonflable, génial pour observer la rivière au plus près dans les coins profonds), à m’enfoncer dans la vase avec mes cuissardes géniales, à m’émerveiller devant cette fascinante nature.

Le bateau à Chantemerle (photo natel)

Bref, le seul truc qui me manquait, c’est que je n’avais même pas sorti l’appareil photo (ça commençait à faire beaucoup de trucs autour du cou et dans les mains, entre le filet, les jumelles, le guide d’identification, les fiches pour les relevés…)! Mais je m’étais promis que ce n’était que partie remise et que j’allais prendre le temps d’aller photographier des libellules à un autre moment, à Genève comme à Belley (mon site d’étude, en France). Mais voilà, entre la pluie suivie des longues journées de bise, il n’y avait pas exactement des conditions appropriées… Jusqu’à hier!

Le soleil brillant dans un ciel dégagé et les arbres ayant retrouvé leur position habituelle verticale (avec la bise, le mélèze devant chez moi était plutôt oblique ces derniers jours ^^), José et moi sommes allés nous promener au Bois des Mouilles, armés de nos objectifs. Jackpot! On a passé une magnifique après-midi et on a pu observer plein de trucs autour de cet étang plein de vie!

Couple de Sympecma fusca (leste brun)

En arrivant au bord de l’étang, on repère rapidement nos premières demoiselles. Des couples de Sympecma fusca, Coenagrion puella et Coenagrion pulchellum virevoltent un peu partout. C’est parti pour plein de photos!

Mâle de Coenagrion puella (agrion jouvencelle)
Couple de Coenagrion pulchellum

Il y avait beaucoup de couples occupés à pondre, c’était super chouette à observer. Je suis particulièrement fière de la photo de lestes bruns ci-dessous: j’étais si proche que je n’ai pas eu besoin de la recadrer, et on voit un peu les jolies teintes bleues des yeux du mâle (si jamais, les photos sont censées s’agrandir si on clique dessus).

Couple de Sympecma fusca, avec la femelle en train de pondre

Tout à coup, une énorme libellule file devant nos yeux. En un éclair, elle a fait trois allers-retours devant nous avant de disparaître. J’ai à peine eu le temps de discerner des flashes de bleu et vert. Une aeshne! Mais laquelle? Aux aguets, on scrute l’étang en attendant son retour. Une autre libellule ne tarde pas à démontrer ses prouesses aériennes. Mais cette fois, j’aperçois un flash vert métallique. C’en est une autre!

On essaie de prendre des photos pour tenter de les identifier, mais il y a beaucoup d’essais ratés. Voilà ce que ça donne, haha:

Heureusement, la libellule aux teintes métalliques affectionne le vol stationnaire, ce qui nous aide grandement. On parvient finalement à “réussir” quelques photos. Après réflexion, il me semble bien que nous avons affaire à Cordulia aenea, avec son thorax vert métallique, ses yeux verts et son abdomen dilaté en massue (qui se remarque mieux vu du dessus):

Une probable cordulie bronzée

Pour l’aeshne, ça prend plus de temps. Le vol stationnaire, elle n’a pas l’air de connaître. Finalement, par je ne sais quel miracle, j’arrive à la capturer sur quelques clichés flous!

Cette tache floue est une aeshne!

C’est seulement en rentrant à la maison que j’ai remarqué que j’avais une photo presque réussie, avec assez de détails pour décider qu’il s’agit d’un mâle de Brachytron pratense, l’aeshne printanière!

Brachytron pratense, qui m’a donné du fil à retordre!

Après avoir passé un bon moment sur les pontons, on a fait tout le tour de l’étang comme à notre habitude. On a croisé en chemin plein de lézards verts et quelques grenouilles (qu’on a plus entendues que vues). Un héron cendré et des milans noirs nous ont survolés, et on aussi pu admirer avec plaisir des petites familles à plumes!

Il n’y a pas à dire, les canetons de colvert, c’est vraiment hyper chou.

Une famille de foulques

Mais ma mission première, ça restait nos amies les libellules! Je scrutais donc chaque nénuphar et perchoir potentiel, à la recherche de créatures graciles et allongées.

Et sur un nénuphar, au loin, j’ai aperçu encore une autre espèce: Erythromma najas, la Naïade aux yeux rouges. Le challenge si vous l’acceptez: la trouver sur la photo ci-dessous! 😉 (C’est pas compliqué)

Erythromma najas qui bronze au soleil

Et bien entendu, pendant toute la balade, j’ai encore pris beaucoup trop d’autres photos de Zygoptères et de nénuphars… 🙂

J’ai passé pas mal de temps à mitrailler un couple de Coenagrion puella en train de pondre au milieu des plantes aquatiques. Je ne vous dis pas le boulot pour trier les photos en rentrant… ^^’

Le seul truc dommage, c’est que les meilleures plages horaires pour observer les libellules ne correspondent pas exactement aux lumières les plus douces. Mon prochain défi, ce sera d’essayer d’en photographier au lever du jour, avant leur réveil…

Agrion femelle
C. puella en vol, avec reflet 🙂

Un peu à l’écart, au milieu des herbes, on a croisé un joli petit insecte au croisement entre un papillon et une libellule. Après une rapide recherche Google, il me semble bien qu’il s’agit d’un Ascalaphe soufré (Libelloides coccajus). Je le trouve vraiment beau, avec ses longues antennes et ses taches jaunes!

Ascalaphe soufré (probablement)

Toutes les photos de la journée ont été prises avec mon nouvel objectif macro Sigma 150 mm, acheté spécialement pour les libellules! Je l’ai depuis Noël (merci Pépé!) mais n’avais quasi pas eu le temps de l’utiliser à cause de mon emploi du temps surchargé. Je l’ai testé pour la première fois le jour de mon anni, lors d’une fraîche et pluvieuse journée de mars. Je ne pense pas que j’aurai l’occasion d’en faire un article entier, donc je vous mets quelques photos ici. J’adore aussi cette ambiance totalement différente. 🙂

Et voilà, cet article est enfin fini!
Dès le prochain, retour en Ecosse! 🙂